Ou pourquoi les moments les plus “cheap” d’un événement sont parfois les seuls qu’on n’oublie pas
Il est minuit passé. Les lumières ont baissé, le DJ hésite entre Britney et Daft Punk, les derniers irréductibles se massent autour de la scène improvisée d’un karaoké installé à la va-vite dans la salle de réception.
Et là, comme une apparition : Paul, DAF de 56 ans, lunettes en sueur, cravate nouée autour de la tête, hurle “I Will Survive” sans la moindre once d’autodérision. Silence d’abord. Puis clameur générale.
Et si c’était ça, l’instant de vérité de l’événement ?
Ce qu’on oublie dans les événements d’entreprise
On scénarise, on structure, on produit.
Les plénières sont minutées à la seconde près, les messages calibrés, les vidéos impeccables. Mais à force de maîtrise, on oublie parfois de laisser une place au vrai.
Ce “vrai”, il surgit rarement à 9h15 pendant le mot du DG.
Il surgit souvent dans l’interstice : sur une piste de danse, autour d’un verre, ou devant un écran où chacun peut devenir star l’espace d’un refrain.
Le karaoké, c’est l’anti-conférence.
C’est le lieu du relâchement, de la vulnérabilité joyeuse, du lien sincère.
Pourquoi est-ce qu’on se souvient de ces scènes-là ?
Parce qu’elles nous montrent nos collègues, nos équipes, nos boss, dépouillés de leur rôle.
On chante faux, on rit, on se ridiculise un peu, ensemble.
Et dans cette faille du vernis corporate, il se passe quelque chose de rare : on se rencontre vraiment.
Comme le rappelle la sociologue Emmanuelle Lallement, les fêtes (y compris en contexte professionnel) sont des espaces de “désinhibition codifiée”, où les hiérarchies s’estompent temporairement et où le collectif se recompose autrement.
Ce sont des rituels sociaux puissants, souvent plus efficaces pour créer du lien que les discours formels.
Ce sont ces instants qui créent de la complicité.
Pas la charte projet. Pas le best-of vidéo.
Faut-il tous finir en soirée mousse ?
Non, bien sûr.
Mais il faut cesser de traiter ces moments comme de simples “à-côtés” de l’événement.
Ils ne sont pas la cerise sur le gâteau. Ils font partie du gâteau.
Et si on les pense bien, ils peuvent être :
- Des activateurs d’engagement émotionnel
- Des souvenirs fédérateurs (bien plus que les slides)
- Des marqueurs culturels puissants
Une dernière chanson ?
Loin d’être anecdotiques, les moments comme le karaoké, le blind test ou le dancefloor ne sont pas des distractions.
Ils sont souvent la seule respiration sincère, la seule parenthèse où chacun se sent libre d’exister, sans enjeu ni posture.
Alors non, tous les événements ne doivent pas se terminer sur du ABBA crié à tue-tête.
Mais peut-être qu’un jour, quand vous demanderez à vos équipes ce qu’ils ont retenu du séminaire, ils ne vous citeront pas le plan stratégique 2026, mais le duo improbable entre le DG et la stagiaire sur “Zombie” des Cranberries.
Et ça, c’est un succès.